Acculé, le pouvoir de Macky se braque

03 - Août - 2019

Lundi 29 juillet, aux premières heures de la journée, le journaliste et activiste politique Adama Gaye lance sur son profil Facebook, une alerte. La police est chez lui, annonce-il. Il sera aussitôt conduit à la Division des investigations criminelles (DIC) pour interrogatoire. Et 24 heures plus tard, il sera déféré au parquet pour «offense au chef de l’Etat et diffusion de propos contraires aux bonnes mœurs». Son dossier est encore entre les mains de la justice au moment où ces lignes sont écrites.

Journaliste talentueux et teigneux à la fois, fin connaisseur de la géopolitique mondiale et des questions africaines, il n’a pas sa langue dans sa poche. Sur le secteur du pétrole et du gaz, il a été avant son interpellation une des voix les plus fortes pour réclamer transparence et bonne gestion. Ayant flirté avec la politique à la faveur de la présidentielle de février 2019, où on l’a vu s’afficher dans les rangs de l’opposition, ses diatribes contre le régime, visant souvent directement le président Macky Sall, font le régal des opposants.

Au fil des jours et des mois, ces attaques essentiellement publiées sur sa page Facebook, sont devenues de plus en plus acerbes. Mais son style et son langage, parfois crus, dérangent y compris au sein de ceux qui s’opposent au président Sall.

Sur les réseaux sociaux et dans les émissions interactives des radios, ils sont nombreux les citoyens qui manifestent leur désaccord par rapport au style de M. Gaye, dont ils jugent le ton virulent et irrespectueux envers l’institution que représente le président Macky Sall.

Y compris parmi ceux qui soutiennent le journaliste, ce ton qui dépasse la seule irrévérence dérange. C’est la brèche dans laquelle s’engouffrera le procureur de la république pour lancer la DIC à ses trousses.

C’est aussi la DIC qui trouvera dans les propos de l’activiste Guy Marius Sagna de quoi l’inculper et l’envoyer en prison, en attendant son procès. Ce panafricaniste, anti-régime, anticolonialiste, aux positions radicales et aux méthodes parfois contestées croupit en prison depuis.

Bouillant et omniprésent activiste Guy Marius Sagna est un des leaders de «Frapp-France Dégage », un mouvement citoyen qui se donne comme mission de combattre «l’impérialisme français» au Sénégal.

Arrêté le 16 juillet 2019, il aura fallu trois jours pour que la justice annonce enfin, et à la surprise générale, le motif de sa détention : «fausse alerte au terrorisme ».

«Guy Marius Sagna est un activiste et un leader dynamique de la société civile qui gêne beaucoup. On cherche par tous les moyens à le faire taire», dénoncera son avocat Me Aly Kane. Il est reproché à l’activiste un communiqué de son organisation intitulé : «la France prépare un attentat terroriste au Sénégal ».

Dans ce texte, on peut lire ceci : «La France commence par des exercices de simulations de lutte anti-terroriste pour préparer psychologiquement les populations à vivre avec l’idée de la menace terroriste, puis avec le terrorisme lui-même».

Pour ses avocats pas question d’accepter le chef d’inculpation car leur client a nié être l’auteur de ce texte qui ne porte d’ailleurs pas sa signature mais celle de son organisation.

Quand le régime se braque !

Pour le gouvernement, confronté à une contestation naissante sur la gestion des nouvelles ressources pétrolières et gazières, en plus d’un espace politique crispé depuis la présidentielle, pas question de la jouer molle.

Réagissant à l’interpellation de M. Gaye, le ministre de la Justice Me Malick Sall a défendu l’arrestation en soulignant que : «l’Etat ne permettra plus à quiconque, quel que soit son statut, (de) fouler aux pieds par ses paroles ou par ses actes l’autorité, les fondamentaux de la République, de fouler aux pieds les institutions…»

Les défenseurs des droits de l’Homme et de la liberté d’expression récusent quant à eux les arguments du pouvoir. A leurs yeux, aussi bien pour le cas de Guy Marius Sagna que pour celui de M. Gaye, ces arrestations constituent rien de plus qu’une atteinte à la liberté d’expression.

«Au Sénégal, en 2019, une personne peut encore être arrêtée et jeter en prison pour diffusion d’écritures contraires aux bonnes mœurs. En réalité tout prétexte est bon pour réduire au silence ceux qui critiquent le régime de Macky Sall», écrit Seydi Gassama, le secrétaire général d’Amnesty Sénégal sur sa page Twitter.

Dans un communiqué posté sur sa page Facebook, l’organisation de défense des droits de l’Homme, Article 19 Afrique de l’Ouest, a qualifié l’arrestation de M. Gaye de « coup dur » pour la «liberté d’expression au Sénégal».

Contrairement à la tolérance zéro décrétée par le ministre de la Justice, le fondateur du Think Tank AfricaJom Center, Alioune Tine, estime que ce n’est par la puissance qu’il faut régler ce genre de problème.

«Quand vous avez un régime présidentiel très fort…le président de la république doit faire preuve de tolérance, il doit avoir le dos large», a-t-il déclaré dans un entretien avec la RFM (radio privée).

AfricaJom Center s’intéresse à cette question et a organisé plusieurs débats centrés sur les réformes démocratiques notamment sur la nécessité de limiter les pouvoirs « exorbitants » du président de la république, au Sénégal.

Les arrestations d’Adama Gaye et de Guy Marius Sagna qui polarisent l’opinion publique, loin d’être des premières, sont en réalité de nouvelles affaires où la liberté d’expression se heurte à des concepts juridiques qualifiés de flous, notamment le «délit d’offense au chef de l’Etat» ou encore «le délit d’outrage au chef de l’Etat ».

En réalité, pour le régime en place, comme pour ces prédécesseurs, il s’agit d’une continuité, vu le nombre de cas similaires qu’a connu le pays.

Liberté d’expression et de presse en danger ?

En mai 2017, l’outrage au chef de l’Etat a été invoqué comme motif de l’arrestation de quatre personnes dont la journaliste Oulèye Mané, qui a passé trois mois en prison avant de bénéficier d’une liberté provisoire. Elle avait partagé via le réseau WhatsApp une caricature du président Macky Sall.

Opposant et membre de l’ex-parti au pouvoir, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), Bara Gaye a été maintenu en détention entre mai et décembre 2013, pour offense au chef de l’Etat.

Des simples citoyens aux activistes, des journalistes aux opposants politiques, la toute puissance de l’institution présidentielle ne rate personne lorsqu’elle se sent égratignée.

En juillet 2015, les journalistes Alioune Badara Fall, Mamadou Seck du quotidien privé l’Observateur et Mamadou Wane du quotidien privé l’Enquête ont été accusés de «divulgation de secret d’Etat» et attraits devant les enquêteurs suite à la publication d’articles sur l’intention du président sénégalais d’envoyer des soldats au Yémen.

En novembre 2018, Lead Afrique francophone, une antenne de l’Ong EndaTiers monde (basé à Dakar) s’est vue momentanément retirer son agrément pour «participation à des opérations de financement irrégulières».

Selon les explications alors avancées par le directeur de Lead Afrique, Moussa Mbaye Gueye, il s’agissait au fond de faire payer à son organisation ses «relations privilégiées» avec le mouvement citoyen Y’en a marre.

Sur le qui-vive la communauté web, accompagnée d’organisations de défense des droits de l’Homme a tenu le 31 août 2018 à Dakar une rencontre publique pour avertir l’opinion sur de probables restrictions concernant l’usage des réseaux sociaux. Une menace d’autant plus sérieuse que le nouveau Code des Communications électroniquesle laisse entendre en son article 27.

Toutefois, l’usage incessant et parfois abusif du délit d’offense ou d’outrage au chef de l’Etat, n’est pas l’apanage du pouvoir actuel. Tous les régimes précédents, dont certains se retrouvent aujourd’hui dans l’opposition et le dénoncent, en ont aussi usé, et parfois abusé.

Consacré par l’article 80 du code pénal sénégalais, l’offense au chef de l’Etat reste une notion plus que contestée. C’est un «fourre-tout. Et de mon point de vue, le profil et le standard démocratiques du Sénégal ne doivent pas permettre des dispositions de ce genre, qui donnent au procureur la possibilité d’arrêter des citoyens comme cela», déclarait Moustapha Diakhaté (député et membre de l’Alliance pour la République, le parti de Macky Sall), cité par Pressafrik.

Outre la nature controversée de cette disposition juridique, les défenseurs d’Adama Gaye soulignent aussi le caractère inéquitable de la justice sénégalaise. Sur les réseaux sociaux, les internautes se plaisent à rappeler des propos injurieux tenus par des proches du parti au pouvoir qui ne sont point inquiétés.

Certains citent aisément les noms de «personnalités» proches du président qui ont eu à sortir des insanités, bien en deçà de la décence, mais qui bénéficient d’une totale impunité.

Ici, comme dans l’affaire Khalifa Sall, du nom de l’ex-maire de Dakar emprisonné depuis le 07 mars 2017, il est encore reproché à la justice de faire, face à la même faute, du «deux poids, deux mesures».

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