Acte 3 de la décentralisation LES MAIRES, TOUJOURS SUR LEUR FAIM !
Cinq ans après l’adoption de la réforme portant Acte III de la décentralisation qui instaure une communalisation intégrale au Sénégal, le financement des collectivités locales reste toujours une équation à multiples inconnues. Aujourd’hui, pour faire face à leurs multiples charges, la plupart des communes ne comptent que sur les fonds de dotation que l’Etat leur octroie, d’ailleurs largement en deçà des attentes. Sud Quotidien prend prétexte de l’adoption en Conseil des ministres avant-hier, mercredi 23 mai, du projet de décret fixant les modalités d’allocation et les critères de répartition du Fonds d’équipement des collectivités territoriales, pour revisiter la problématique du financement de ces collectivités en donnant la parole à quelques élus locaux. Banda Diop, maire de la commune de la Patte d’Oie, Dioguine Gomis, maire de la commune de Karang et autre Seydou Sané, 1er Adjoint au maire de Ziguinchor, pour explorer l’épineuse question du financement des collectivités locales, quatre années après l’entrée en vigueur effective de l’Acte III.
BANDA DIOP, MAIRE DE LA COMMUNE DE LA PATTE D’OIE (DAKAR) : «Les fonds de concours sont toujours très en deçà des compétences transférées…»
Les fonds de concours communément appelés fonds à la décentralisation ou fonds d’équipements alloués chaque année aux collectivités locales sont très en deçà des compétences transférées. Depuis l’avènement de l’Acte III de la décentralisation, les communes de plein exercice que nous dirigeons ont vécu comme un mirage cette décentralisation à outrance. La décision de l’Etat de transférer des compétences aux collectivités locales n’a pas été suivie par un transfert des moyens. Je le répète encore : les fonds de concours ou fonds d’équipements alloués chaque année aux collectivités locales sont très en deçà des compétences transférées, notamment au niveau de la santé, de l’éducation, du cadre de vie pour ne citer que ceux-là.
Si je prends le cas de la commune de la Patte d’Oie dont je suis le maire, nous avons hérité dans le cadre de la réforme de l’Acte III de la décentralisation la gestion du centre de santé Nabil Choucair et de son personnel dont la masse salariale est de 200 millions, sans le concours de ressources conséquentes. La preuve, cette année nous n’avons reçu que 51 millions dans le cadre des fonds de dotation pour l’ensemble des compétences transférées en matière de santé, d’éducation, de jeunesse, de sport, de culture, d’environnement…
Aujourd’hui, je puis vous dire que la plupart des communes vivotent et ne parviennent pas à tirer la tête de l’eau. On ne peut pas, en matière de gestion publique, créer des charges sans prévoir au préalable les ressources devant accompagner ces charges. On nous parle de la possibilité pour les collectivités locales de collecter des recettes fiscales mais pour pouvoir collecter ces recettes, il faut avoir un personnel qualifié et beaucoup de communes, à l’image de la Patte d’Oie, n’ont pas aujourd’hui les moyens de recruter.
L’Etat devrait prendre ses responsabilités et mettre à la disposition des collectivités locales des ressources devant leur permettre de bien prendre en charge les compétences transférées. Figurez-vous que, depuis 2014, nous avons du mal à traduire en actes nos vœux d’octroyer des subventions aux Associations sportives et culturelles (Asc), conformément à la loi. Nous sommes dans un tourbillon parce que rien n’empêchait l’Etat de prendre un acte et de dire à propos des fonds de dotation que tel montant est destiné à la jeunesse, tel autre à chacune des autres compétences transférées. Je pense qu’il est temps qu’on finisse avec les discours et qu’on passe à la phase de la concrétisation du financement des collectivités locales.
DIOGUINE GOMIS, MAIRE DE LA COMMUNE DE KARANG : «Le deuxième volet de l’Acte III reste la seule alternative pour sortir les collectivités de leurs difficultés»
Depuis 2014, nous avons noté beaucoup d’améliorations concernant les montants alloués à notre commune par l’Etat. De 10 millions à l’époque, les fonds de concours sont passés à 13 millions aujourd’hui. En 2014, les fonds de dotation étaient également de 12 millions mais aujourd’hui, on est à 19 millions. Il y a donc une nette amélioration des ressources reçues de l’Etat. Cependant, je dois préciser que ces montants sont très insuffisants par rapport à nos charges. Ils ne couvrent même pas la totalité des compétences auxquels ils sont destinés comme la santé, l’éducation, l’action sociale, la jeunesse, le sport, la culture, l’environnement… L’Etat devrait aussi prendre en compte dans la répartition des fonds de dotation les particularités de chaque zone. Pour des communes semi urbaines ou frontalières comme les nôtres, nous avons souvent même des difficultés pour prendre en charge certaines sollicitations, notamment sur le côté social et qui ne sont pas prises en compte par l’Etat dans le cadre de ces fonds. Par exemple, très souvent, on est appelé à prendre en charge des cas de décès impliquant des voyageurs alors que cela n’est pas prévu par l’Etat dans ces fonds.
Pour mieux nous accompagner, je pense que l’Etat en plus du programme Puma devait allouer des fonds de dotation spéciaux aux communes frontalières. L’année dernière, j’ai été même obligé de solliciter l’appui du chef de l’Etat qui a répondu favorablement en donnant des instructions au ministre en charge des collectivités locales pour réaliser certains projets. Néanmoins, j’attends toujours la concrétisation de cette instruction. L’autre problème est relatif aux modalités de la répartition de ces fonds. On nous dit que le calcul est fait sur la base du nombre d’habitants de chaque commune mais on a vu des communes qui ont le même nombre d’habitants que la nôtre recevoir des montants beaucoup plus importants que les autres. C’est le cas de la commune de Sokone qui bénéficie de 50 millions au moment où on donne 13 millions alors que nous avons pratiquement le même nombre d’habitants…C’est le cas aussi de la commune de Foundiougne qui reçoit plus 60 millions de fonds de dotation avec seulement 6000 d’habitants alors que notre commune compte plus de 22 000 âmes. Mais nous pensons que le deuxième volet de l’Acte III de la décentralisation reste la seule alternative pour sortir les collectivités locales des difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui.