Les échanges de prisonniers avec Daech

10 - Mars - 2019

Donald Trump se prévaut d’une « victoire » définitive sur Daech pour annoncer, le 19 décembre dernier, le retrait des forces américaines de Syrie. Le 14 février, c’est son vice-président, Mike Pence, qui déclare que « très bientôt, le territoire du califat de Daech n’existera plus ». Près d’un mois après cette rodomontade, il s’avère que la dernière poche de moins d’un kilomètre carré, tenue par Daech dans la localité syrienne de Baghouz, non loin de la frontière irakienne, tient toujours. Un telle prolongation de la bataille supposée « finale » contre Daech peut s’expliquer en partie par la volonté louable d’épargner les civils encore présents, plus ou moins volontairement, à Baghouz. Mais elle résulte surtout des négociations toujours en cours pour un échange de prisonniers entre Daech et la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui structure les Forces démocratiques syriennes (FDS), le partenaire au sol de la coalition anti-Daech.

LE REGIME ASSAD ET SES ALLIES

La direction du PKK en Syrie, déterminée à obtenir de Daech la libération à Baghouz de certains de ses cadres et militants, est loin d’être la première à s’engager dans ce type de tractations avec l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi. Le régime Assad a dès 2015 noué des arrangements, forcément secrets, avec Daech dans le désert de Palmyre et la banlieue de Damas, aux fins, entre autres, d’obtenir la libération de ses combattants détenus dans les geôles jihadistes. Les « victoires » remportées en 2018 par la dictature syrienne contre Daech se sont souvent accompagnées d’accords d’évacuation des forces jihadistes, épargnées et transférées pour accélérer la chute de leurs bastions, notamment aux franges sud de la capitale. Plus récemment, dans le sud de la Syrie, le régime Assad a décidé de réintégrer dans ses rangs d’anciens militants de Daech afin de les associer à la répression de l’opposition civile, dont la sécurité avait pourtant été garantie lors des accords de reddition.

En août 2017, le Hezbollah libanais avait déjà fait scandale en admettant qu’il avait négocié l’évacuation dans des bus climatisés de centaines de combattants de Daech, implantés jusque là à la frontière syro-libanaise. La milice chiite avait obtenu en contrepartie, outre la libération d’au moins un de ses cadres, la restitution de la dépouille d’un officier iranien, tué au combat en Syrie, dépouille immédiatement transférée à Téhéran. Les Etats-Unis avaient eu beau tempêter contre cet accord, ils s’étaient bornés à un tir de semonce devant le convoi jihadiste, immobilisé quelque temps dans le désert de Palmyre, avant de reprendre sa route vers les zones alors contrôlées par Daech dans la vallée de l’Euphrate. Il est fort probable qu’une partie des combattants aujourd’hui retranchés dans Baghouz aient été libérés et transférés par le Hezbollah à cette occasion.

LA GUERILLA KURDE ET LA TURQUIE

Dès septembre 2014, la Turquie avait procédé à la libération de 180 détenus de Daech (dont trois Français, deux Britanniques, deux Suédois, deux Macédoniens, un Suisse et un Belge). Elle avait obtenu en contrepartie le rapatriement de 46 de ses ressortissants, pris en otages dans le consulat général de Turquie à Mossoul, lors de la chute de la deuxième ville d’Irak aux mains de Daech, trois mois auparavant (le consul général Öztürk Yilmaz a depuis quitté la carrière diplomatique pour être élu, un an après sa libération, député de l’opposition kémaliste, et devenir un des plus virulents critiques de la politique de son pays en Syrie). Quant à la direction syrienne du PKK, elle n’est parvenue à s’emparer de Rakka, le berceau de Daech, en octobre 2017, qu’en négociant l’évacuation de centaines de combattants jihadistes, peut-être engagés en ce moment même dans la bataille de Baghouz. Durant les derniers mois, les FDS n’ont en outre pas hésité à libérer des centaines de détenus jihadistes, dont de nombreux étrangers.

Certes, ni la Russie, ni les puissances occidentales ne se sont compromises dans les transactions directes avec Daech qu’ont menées leurs alliés respectifs en Syrie ou en Irak. Il n’en est pas moins évident que les libérations ainsi consenties de cadres et de militants jihadistes ne peuvent qu’alimenter le simple déplacement d’une menace que l’on prétend publiquement éradiquer. Une fois encore, le fossé est béant entre les communiqués de « victoire » de la Maison blanche et du Kremlin, d’une part, et la réalité du défi jihadiste sur le terrain, d’autre part. Une telle contradiction relativise dès à présent les conséquences de l’inévitable chute de Baghouz et de l’élimination effective du territoire du pseudo-califat de Baghdadi. Daech n’aura en effet qu’opéré une mutation dans son long parcours de subversion, mobilisant ses réseaux de professionnels de la terreur, dont certains seront peut-être libérés très bientôt en Syrie.

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