Des milliers de déplacés dans des violences interethniques en Ethiopie

13 - Octobre - 2017

De violents affrontements à la frontière des régions Oromia et Somali ont fait des centaines de morts et poussé de nombreuses familles à fuir.
Une mère et son enfant oromo dans un camp temporaire de personnes déplacées, à Adama, en Ethiopie, le 4 octobre 2017. 
Fatiha Abdellah serre son téléphone dans la main. Elle attend un coup de fil. Elle n’a plus de nouvelles de sa sœur depuis qu’elle a quitté Jigjiga, la capitale de la région Somali, dans l’est de l’Ethiopie. « Je ne sais pas si elle est encore en vie », dit la jeune femme de 23 ans, la voix cassée. Comme elle, des dizaines de milliers d’Oromo, l’ethnie majoritaire du pays, ont été forcés de fuir la région en raison de tensions interethniques avec les Somali. Des tensions si fortes qu’elles ont obligé les Nations unies à retirer en catimini leur personnel oromo de Jigjiga.

Depuis près de deux semaines, Fatiha vit dans un grand entrepôt en périphérie de la ville de Harar, à une centaine de kilomètres de là. Ils sont plus de 3 000 à avoir trouvé refuge dans ce camp de fortune, après un voyage éprouvant. Serrés dans des remorques de poids lourds, ils sont partis sous escorte de l’armée fédérale. « Nous vivions en paix avec les Somali, nous n’avions aucun désaccord. Nous ne savons pas ce qui s’est passé », dit Aïcha Abdellah, une dame voilée à l’air interdit.
Une force paramilitaire
Des affrontements d’une rare violence le long de la frontière entre les régions Somali et Oromia ont fait plusieurs centaines de morts ces derniers mois. Cette frontière longue de plus d’un millier de kilomètres est depuis des années le théâtre de tensions en raison de vieux désaccords sur sa démarcation et sur le partage des terres et des ressources en eau très convoitées. Malgré la signature il y a quelques mois d’un accord entre les présidents des deux régions pour cesser les hostilités, le conflit a récemment pris une ampleur sans précédent, et les joutes verbales entre dirigeants se sont multipliées.
Les Oromo ont manifesté dans quatre villes de leur région, le 12 septembre, pour protester notamment contre l’inaction du gouvernement fédéral face aux attaques à la frontière. Un événement aurait mis de l’huile sur le feu : la détention arbitraire et le meurtre de personnalités politiques oromo imputés à la Liyu Police. Les Oromo accusent cette force paramilitaire d’être responsable d’incursions armées meurtrières sur leur territoire. Créée il y a dix ans par les autorités éthiopiennes suite à un conflit armé entre le Front national de libération de l’Ogaden – un groupe séparatiste – et le gouvernement, elle est régulièrement accusée de graves exactions par Human Rights Watch. Des accusations démenties par les autorités somali.

A Aweday, l’une des localités où les Oromo ont manifesté, le rassemblement a viré au drame, entraînant la mort de douze Somali et de six Oromo, selon les autorités oromo. Le gouvernement somali donne un bilan humain plus lourd : plus de cinquante Somali auraient été tués sauvagement. C’est à ce moment-là que la défiance entre les deux ethnies est devenue plus forte, entraînant le déplacement de dizaines de milliers d’Ethiopiens, de part et d’autre. Addis-Abeba a déclaré avoir ouvert une enquête pour faire toute la lumière sur les tueries, et a déployé son armée à la frontière pour « rétablir la paix ». Certaines villes sont passées sous contrôle fédéral.
« Un désastre soudain et inquiétant »
Des Somali ont été transférés dans des camps de déplacés internes, très nombreux dans leur région à cause notamment d’une sécheresse dramatique. Ils seraient bien plus d’une centaine de milliers selon les autorités somali. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution, le gouvernement de la région étant souvent accusé de les gonfler ou de les manipuler. Plus de 91 000 Oromo, dont plusieurs milliers en provenance du Somaliland, ont aussi laissé derrière eux voitures, motos, maisons, possessions pour se rendre en Oromia, où beaucoup n’avaient pas vécu depuis des années. Nombre d’entre eux, d’abord hébergés dans un stade, ont ensuite été dispersés dans la région, chez des proches ou dans d’autres refuges.
« C’est un désastre soudain et inquiétant, déplore Geetaachoo Toleeraa Baayisa, responsable du Bureau de gestion des risques de catastrophe de la zone administrative de l’est Hararghe, rattachée à la région Oromia. Ces gens-là ne méritent pas de vivre dans des camps dans leur propre pays. » Frehiwot Worku, secrétaire générale à la Croix-Rouge éthiopienne, se dit frustrée par la quasi-absence d’aide humanitaire qui, aux yeux de beaucoup, est très tardive. Avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), « nous sommes les seuls à répondre, mais nous manquons de ressources. C’est préoccupant », observe-t-elle. La réponse humanitaire de la part des agences des Nations unies commence seulement à être mise en œuvre.
Dans le camp de Hamaresa, où Fatiha et Aïcha ont trouvé refuge, les enfants crient près de mères désabusées, des vieillards dorment à même le sol. Par terre, des tapis sales, humides et des branches de khat, cette plante que les hommes mâchent à longueur de journée pour ses effets stimulants. Une odeur infecte flotte dans l’entrepôt. L’atmosphère est suffocante. Les déplacés internes qui sont encore ici n’ont pas de famille dans la région, ils n’ont nulle part où aller. Ils sont nerveux, irritables. A cause de la faim et du khat, mais aussi de ce qu’ils ont vécu.
Pillage, vol, passages à tabac…
Deux mots reviennent en boucle : « Liyu Police ». Ils l’accusent des plus terribles maux. Hommes et femmes citent dans le désordre : pillage, vol, passages à tabac, et même égorgement, des méthodes brutales, barbares. Ici, un jeune montre des traces d’étranglement avec une fine corde autour de son cou. Là, un père pointe du doigt une cicatrice de couteau sur le crâne de son petit garçon. Une femme bien en chair donne le nom de deux jeunes battus à mort comme pour prouver qu’elle dit la vérité.
Mais, pour le gouvernement de la région Somali, ces accusations sont des allégations. Il accuse le Front de libération oromo (OLF), un groupe qualifié de « terroriste » par Addis-Abeba, d’être derrière les attaques des membres de cette ethnie. D’après lui, des membres du gouvernement Oromo en seraient des sympathisants. L’accès au camp de Qoloji, où se trouvent une partie des déplacés internes du côté Somali, nous a été refusé par les autorités. Impossible, donc, de leur parler, et de comprendre les raisons de leur fuite.
Lire aussi : Des centaines de morts dans des violences interethniques en Ethiopie
Même les travailleurs humanitaires ont difficilement accès à cette région. Certains se plaignent du manque de latitude pour agir face à des autorités qui veulent tout régenter. « Lorsqu’il s’agit d’un conflit interne, ethnique et politique, le gouvernement ne veut pas d’ingérence extérieure pour des raisons sécuritaires et pour éviter de donner une mauvaise image politique du pays », confie, hors micro, l’un d’entre eux. D’autres dénoncent la pusillanimité de leurs collègues qui se sentent sur un siège éjectable. Quitte à garder le silence sur ce qui se passe réellement à la frontière ?
Un modèle du fédéralisme ethnique
Pour le chercheur René Lefort, spécialiste de la Corne de l’Afrique, le fond du problème, ce ne sont pas les tensions interethniques. « Le ressort de toute cette affaire, c’est une force militaire régionale – la seule du pays – qui se livre à des raids et à des incursions armées en région Oromia pour différentes raisons, dont le traditionnel expansionnisme somali, sans que le pouvoir oromo ne puisse s’y opposer, faute de moyens militaires équivalents, et surtout sans que le pouvoir fédéral ne veuille ou ne puisse s’y opposer », analyse-t-il. Contacté à de multiples reprises, le conseiller humanitaire du président de la région Somali a ignoré appels et rendez-vous.
Dans le camp de Hamaresa, on reproche au gouvernement fédéral son intervention tardive dans le conflit frontalier meurtrier. La grogne des Oromo n’est pas nouvelle. Ils étaient en première ligne de la contestation contre le pouvoir éthiopien de novembre 2015 à octobre 2016, date de l’instauration de l’état d’urgence, aujourd’hui levé. Ici, les rumeurs enflent vite. De nombreux déplacés sont persuadés que ces tensions sont le fruit d’une « conspiration du TPLF », le Front de libération du peuple du Tigray, la base politique de la coalition au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle. Pour détourner l’attention sur un autre conflit, disent certains.

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