RETOUR SUR SAINT-LOUIS JAZZ, CUVEE 2018 - JULIA SARR, CHANTEUSE D’AFRO-JAZZ JEUX D’OMBRES ET DE LUMIERES, AU PROPRE COMME AU FIGURE…

30 - Juillet - 2018

Son joli timbre de voix est fragile, il est cristallin, il sourit comme il sanglote, vous émeut comme il vous apaise. Lorsqu’il vous parle d’Humain, le Divin n’est jamais bien loin. Tête d’affiche de la toute dernière soirée de Saint-Louis Jazz, cuvée 2018, Julia Sarr a eu droit à ce qu’on appellera son premier vrai bain de foule sur le sol sénégalais. Si l’artiste, chanteuse d’afro-jazz et pianiste sans prétention n’est pas très connue par ici, sinon dans certains milieux disons…confidentiels, Julia Sarr n’est certainement pas n’importe qui : on n’est pas n’importe qui quand on a écrit, avec Lokua Kanza, une chanson pour Miriam Makéba. Diplômée de la Sorbonne, Julia Sarr a chanté avec les plus grands : Youssou Ndour, Salif Keïta, Pascal Obispo, Habib Faye, à qui elle a d’ailleurs tenu à rendre hommage…Ce fameux soir-là…

Son entrée ce soir-là ? Surprenante, digne d’une apparition, sans tapage, mais un joli coup de bluff tout de même, comme au poker, sur la pointe des pieds, ou presque, démarche altière de princesse zulu ou allure épurée de chanteuse de rue, à la fois discrète et presque timide, solennelle et mystérieuse pour ne pas dire habitée…Au bout du micro, cette chanson de son cru…ou de sa muse. On l’attendait sur scène, elle nous tombera quelque part sur la nuque, sortie d’un de ces chapeaux de magicien, obligeant plus ou moins tout le monde à se retourner, et à tendre l’oreille : pour des notes de musique, et quelques sourires bienveillants, hospitaliers, couleur téranga. Pari (risqué)…pari gagnant. Quelques coups de flash se perdent dans la nuit, qui cherchent à capturer le temps, sinon l’instant. Réactions du public : médusé, bluffé,et autres synonymes…

Nom de code, à la vie comme à la ville : Julia Sarr. Si son nom ne vous dit rien…C’est qu’il ne vous dit rien. Julia Sarr ?! Si son nom ne vous dit toujours rien, c’est que vous avez du bonheur à prendre. La tête d’affiche de la toute dernière soirée du Festival Jazz de Saint-Louis, cuvée 2018, c’était elle. La der,mais avec le goût de la première fois pour l’artiste, et avec même, en prime, son petit côté «retour aux sources». Née d’un père originaire de la «vieille ville»,ce n’était pourtant «que» son tout premier Festival Jazz de Saint-Louis. Un «privilège» dira l’artiste, que d’avoir été «programmée» sur cette scène-là, ce soir de 1er mai.

Ce soir-là, Julia Sar trimballe un petit bout de papier sur scène : coups d’œil réguliers, entre deux chansons, de façon presque scolaire. On la sent même un peu nerveuse : «Ça c’est la liste expliquera-t-elle plus tard…On a modifié l’ordre du concert, et j’avais peur de me tromper dans le déroulement.» Voilà qui explique peut-être que…

Entre deux chansons, la chanteuse finit par sacrifier au rituel : décédé le 25 avril 2018, le bassiste Habib Faye, icône de Saint-Louis Jazz où il partageait la scène avec le joueur de kora Ablaye Cissoko, vient de nous quitter. Julia Sarr s’accroche davantage à son bout de papier. Pour d’autres raisons cette fois : «J’ai préféré lire, déjà parce que c’était en wolof, mais j’ai préféré lire, parce que je savais que j’aurais du mal…C’est trop émouvant, c’était trop frais.» Avec quelques fêlures dans la voix, la faute à l’émotion, elle lui dédiera d’ailleurs une des chansons de son répertoire : «Adjana», l’autre nom du Paradis, une «chanson sur la mort» ; tout à fait de circonstance.«J’étais très émue, ça m’a cassé la voix tellement j’étais émue. Adjana, c’est une chanson que j’ai chantée aujourd’hui (le 1er mai 2018, Ndlr) spécialement pour Habib Faye, parce que c’est une chanson un peu triste, mais en même temps on se dit que c’est un aurevoir. Donc Adjana, pour moi c’était le moment un peu difficile à chanter parce que beaucoup d’émotion.»

«On n’a pas le cœur à chanter quand…»

Autre petite confidence d’après-concert, là-bas dans les coulisses où un monsieur viendra nous interrompre, pour dire à quel point il avait apprécié la prestation de l’artiste, Julia Sarr aurait pu ne pas venir ce soir-là : on n’a «pas le cœur à chanter quand un monsieur comme celui-là s’en va». Mais un contrat, lui a-t-on dit, c’est un contrat. Et puis, quand on y songe, Habib Faye lui-même «aurait voulu que l’on fasse quand même de la musique». De la part d’une artiste qui dit l’avoir plutôt bien connu, on écoute comme on s’incline : «Oui je l’ai bien connu, dit-elle, j’ai chanté sur son album H2O (en 2012, Ndlr), j’ai fait tous les chœurs et même un duo avec lui» : le morceau éponyme (H2O) de l’album justement. Ce n’est évidemment pas très anodin…

Il faut dire tout de même que les deux artistes se fréquentaient déjà, à l’époque où Julia Sarr tournait parfois avec Youssou Ndour, que l’on savait très proche du défunt. «On était amis, et j’aimais beaucoup ses conseils, parce que Habib avait toujours des conseils très précis, aiguisés. C’était quelqu’un de bien, de courtois, un vrai modèle pour nous. C’était un talibé, et je pense que ça aussi ça joue. Il a été quelqu’un d’exemplaire pour nous. Il me taquinait sur ma façon de parler wolof, mais il me conseillait aussi d’être toujours authentique, de garder toujours le cap sur la musique, et pas sur le business. C’était quelqu’un…On parlait de tout, du Sénégal, des voyages, de la basse, des instruments, du son…Moi je suis passionnée par tout ça, et lui il était très expérimenté, donc on avait de longues discussions.»

Quelque part, Julia Sarr est aussi instrumentiste, mais à sa façon ; pianiste, mais sans prétention : «Je joue du piano, pas assez bien comme pianiste sur scène, mais je joue quand même…Je chante et je joue, je m’accompagne. C’est important d’avoir un instrument pour les chanteurs.»

Il y a bien eu, dans la grande famille de la chanteuse, le fameux piano «tout abîmé» de chez la grand-mère, qui a dû servir dans une autre vie…Julia Sarr raconte aussi l’histoire de son oncle maternel, «organiste à l’église» à l’époque. Y verra-t-on un signe ? Allez savoir…Toujours est-il que «du côté de ma mère, en Gambie, on allait à l’église, se souvient-elle. Ma mère était protestante, et j’avais un oncle qui était organiste à l’église. Chez ma grand-mère il y avait un piano, mais il était tout abîmé. On ne peut donc pas dire que c’était l’univers musical, mais ça a quand même fait partie de notre histoire familiale. Sinon, mes parents n’étaient pas du tout dans la musique, non. Ils ne voulaient même pas trop que j’en fasse d’ailleurs. Ils préféraient que je sois intellectuelle…Pour moi on peut être intellectuelle et dans la musique aussi, ce n’est pas interdit quoi.»

«Je n’ai pas chanté avec Fela mais…»

Sur Internet, lui fait-on remarquer, «votre CV» mentionne un détour par la Sorbonne. Julia Sarr écoute attentivement, puis hoche de la tête : «J’ai fait une maîtrise de littérature et communication à la Sorbonne, et je voulais être journaliste comme mon père, finalement bon ben…j’ai fait de la musique.»

En ligne toujours, on prête à la chanteuse quelque collaboration avec l’emblématique Fela Kuti, le pater de l’afrobeat et de son fils Femi. Pas surprise pour un sou, Julia sourit poliment, mais répond qu’il n’en est rien : «Je n’ai pas chanté avec Fela, mais avec le batteur de Fela, Tony Allen. Je n’ai jamais du tout chanté avec Fela, je ne l’ai pas connu. Ça c’est une erreur, je ne sais pas d’où elle vient ; elle est dans ma biographie, je l’ai lu sur le site…»

Autre bizarrerie pour ne pas parler de malentendus biographiques : les influences sérères de Julia Sarr, que la chanteuse tiendrait, dit-on, de ses origines familiales. Notre interlocutrice est formelle : «Je suis toucouleur, née d’une maman peul». Voilà qui est dit…

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que Julia Sarr a bel et bien collaboré avec de grands noms de la musique ; dans le rôle de la choriste à chaque fois, à dessein. Sans pouvoir tous les citer, voilà plus ou moins son impressionnant tableau de chasse : «Récemmentj’ai travaillé avec PascalObispo ; sinon je travaille beaucoup avec Francis Cabrel, et pendant plus de huit ans avec Christophe Maé, donc beaucoup de variété, Salif Keïta aussi, j’ai fait ses albums, ses deux derniers, Alpha Blondy, avec qui j’ai fait 5 albums, Youssou Ndour avec qui j’ai fait Wommat et Dakar-Kingston».

Sans avoir peur des mots, ni des déclarations enflammées, Julia Sarr laisse d’ailleurs entendre, à ce sujet, que Youssou Ndour a été…comment dire…«la plus belle rencontre» de sa carrière. «Franchement».«Après, il y a tous ces autres grands artistes qui sont des gens exceptionnels, qui ont fait des succès, mais c’est peut-être aussi parce que je suis spécialement fan de Youssou Ndour», que la chanteuse elle-même décrit comme quelqu’un de très professionnel, et de très humain : car lorsque le groupe était en tournée à l’époque Youssou Ndour « arrivait avant tout le monde, attentif et attentionné avec toute l’équipe».

«MIRIAM MAKEBA, LOKUA KANZA ET MOI...»

Dans la bio de Julia Sarr, où il faut parfois s’amuser à débusquer les fausses pistes ou les mauvaises herbes, il y a ce jour-là, où la carrière de la chanteuse croise quelque part la route de l’emblématique Miriam Makéba. Vrai ou faux ? On croise les doigts ! Un, deux, trois…«Oui, ça c’est vrai», nous confirme-t-elle. Mais encore ?! Quelques détails s’il vous plaît ! «C’est-à-dire que Lokua Kanza avait composé des chants pour elle dans un disque, un album qui s’appelle Homeland, et j’avais fait toutes les voix-témoins, c’est-à-dire que je chantais pour qu’elle ait les mélodies, et après on envoyait tout cela aux paroliers. Donc après j’ai été à Johannesburg pour faire la séance de studio pendant les chœurs, j’ai fait les chœurs avec les Sud-Africains, son équipe en fait…Et puis il y avait une chanson, elle avait reçu un texte qui ne lui convenait pas très bien, et comme je connaissais parfaitement la mélodie, puisque j’avais fait toutes les voix-témoins, elle m’a dit : Tu ne veux pas essayer ? » Et donc je suis allée dans une petite régie à côté, et j’ai écrit la chanson Lindelani avec Lokua Kanza en duo, elle a fait un duo avec lui, et c’était vraiment un honneur. Après elle venait à Paris, on se voyait, c’était comme ma petite maman.»

Aujourd’hui, Julia Sarr se cache un peu moins «derrière les artistes», après une longue carrière de choriste. «En fait, explique-t-elle, j’ai travaillé pendant 12 ans avec Lokua Kanza en tournée. Je chantais toujours une chanson en solo, mais je n’osais pas vraiment m’afficher. Je n’assumais pas en fait, j’aimais bien être derrière les artistes, dans la lumière mais pas vraiment (...) Peut-être qu’avec ma vie, j’avais des choses à dire, et je me disais quand même que d’une manière ou d’une autre, il fallait que je m’exprime.» Mais soliste ou choriste, peu importe finalement. «Le plus important pour moi, c’est chanter ».

«Le goût d’écrire…»

En 2006-2007, le premier disque : «Set Luna»,fruit d’une collaboration entre Julia Sarr et le guitariste, compositeur et arrangeur françaisPatrice Larose, et où on la retrouve d’ailleurs en duo avec Youssou Ndour. «On a chanté ensemble, c’était super, et ça m’a donné envie quand même, ça m’a donné le goût d’écrire un peu plus, sur ma vie, sur des choses qui me touchent quoi…»

Puis viendra le deuxième, «Dara loudoul yow», en 2014, chansons de son cru, ou de sa muse là encore (on l’imagine aisément en train de griffonner sur un bout de papier), mais pas seulement. On y retrouve notamment la patte de l’«excellent bassiste» Alune Wade, qui s’est lui aussi produit sur la scène du Saint-Louis Jazz. A son sujet, Julia Sarr ne tarit pas d’éloges : « Alune, c’est mon petit-frère. Dans l’album Dara loudoul yow, il a écrit «Doom», j’ai chanté ses chansons, ses textes à lui, sa musique…Mankoo, c’est lui, il a beaucoup participé, il a joué la basse aussi dans certains morceaux, dans les percussions. Alune, c’est quelqu’un, c’est un musicien exceptionnel. C’est la nouvelle génération, il est très connu à l’international, au Sénégal aussi hein…C’est un grand…Alune c’est un grand. »

Pour les textes en wolof, justement, Julia Sarr se fait régulièrement relire. Parce que…«En fait, j’ai un petit complexe par rapport au wolof, vraiment...Je ne le trouve pas parfait. (…) Et s’il y a quelqu’un qui m’aide beaucoup, que j’aimerais pouvoir citer, c’est Pape Cheikh Diallo (animateur à la Télévision Futurs Médias, Ndlr). C’est en regardant certaines de ses émissions que j’apprends le wolof. Je trouve que c’est un très grand professionnel, un humain, un très bel humain. (…) De temps en temps, je demande d’ailleurs qu’on me corrige, donc j’écris, et je demande des corrections, ou en tout cas l’avis de quelqu’un : est-ce que ça se dit, est-ce que c’est correct, est-ce que c’est bien, approprié.»
«Je suis un peu maniaque…»

Chez l’artiste, il y a ce petit côté jamais satisfait, curieux, presque inquiet, obsessionnel, mais avec une sorte de fraîcheur spontanée…presque juvénile, en plus d’avoir un âge absolument indéfinissable.
Quatre années après le deuxième, la chanteuse nous mitonne en ce moment ce qui sera son troisième album : qui, que, quoi, quand, comment ? Julia sourit, mais nous n’en saurons pas davantage. Si ce n’est que: «Je suis en train de faire le prochain…Alors je n’ai pas de date, il n’a pas encore de nom, mais on a quatre chansons, dont deux que je trouve très belles, et deux autres qu’il faut que je travaille encore. Je ne suis pas super satisfaite, et moi je suis un peu maniaque quoi. Moi, sortir un album pour sortir un album, ça ne m’intéresse pas. Pour moi, il faut attendre que ce soit le bon moment, et je prie pour que ce soit le bon moment. Si je n’ai pas le feu vert de mon Boss, de là-haut, le Patron (rires), je ne le fais pas. Non mais ça va bientôt…Inchallah »

Dans l’univers ou dans le répertoire de Julia Sarr, où l’on parle aussi de Senghor ou de Cheikh Anta Diop, il y a quelque chose de mystique, de très nombreuses références à Dieu, de la place pour les djinns et pour les anges, pour le sort ou pour le péché, et pour certaines maximes populaires : «Aduna amul solo» par exemple. Quant à ses pauses instrumentales, ce temps qui passe, entre la distinguée sonorité du piano, son batteur venu d’Inde, cette maîtrise du silence, elles passeraient quasiment pour quelque séance de prière, de respiration, ou de yoga.«C’est important, dit la chanteuse de confession musulmane, que la foi fasse partie de ma musique (…) Pour moi, c’est très important la foi, on ne peut pas vivre sans Dieu. Je me sens bénie, c’est un don, ça ne vient pas de moi, et c’est pour ça que j’ai foi en Dieu. »

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