ENTRETIEN AVEC LA REALISATRiCE KHADIDIATOU SOW «PLASTICIENNE, COSTUMIERE OU REALISATRICE... TOUT EST LIE»

29 - Août - 2017

Son film, «Une place dans l’avion», est l’un des deux courts métrages qui représenteront le Sénégal au tout prochain Clap Ivoire, du 4 au 10 septembre à Abidjan. Khadidiatou Sow y raconte à sa façon, «burlesque» dit-elle, une histoire d’immigration, où le drame est à portée de main. Dans cet entretien, la diplômée de l’Ecole des Beaux-arts, qui n’a absolument pas renoncé à ses pinceaux, laisse entendre, d’ailleurs, qu’ils la suivent jusque sur ses plateaux de tournage, où la réalisatrice a parfois l’impression d’être dans son atelier de peinture. Khadidiatou Sow, que nous avons eue au téléphone hier, lundi 28 août, revient aussi sur sa collaboration avec l’acteur Cheikhou Guèye (Sanekh, de «Soleil Levant»), qui correspondait trait pour trait avec le personnage qu’elle avait elle-même conçu, imaginé… Entre deux éclats de rire, et sa passion pour «La Dolce Vita» de Federico Fellini, vous l’entendrez dire à quel point elle a hâte de se retrouver au Clap Ivoire…

Vous voulez bien nous parler de votre parcours ? Vous avez commencé par les Beaux-arts, c’est cela ?

Euh…Je suis toujours plasticienne. Je suis sortie des Beaux-arts, après j’ai commencé à faire des expositions collectives, puis des expos individuelles…J’ai toujours aimé le cinéma, depuis toute petite, mais je ne savais pas comment m’y prendre pour faire du cinéma. Pour moi c’était inaccessible en fait, et un jour j’ai rencontré…Il y avait une cousine par alliance qui venait à la maison. On discutait et elle m’a dit que son mari travaillait dans le cinéma. J’ai dit : «Ah ! Mais j’aimerais bien faire du cinéma ! » Un jour je le rencontre, il était sur un projet, et je lui ai dit : «S’il te plaît, j’aimerais être sur un plateau de cinéma, un plateau de tournage. J’aimerais bien savoir comment ça se passe ; même si je suis figurante, c’est bon.» Il me dit : «Bon, écoute, il paraît que tu es plasticienne ». J’étais déjà plasticienne, je venais juste de sortir des Beaux-arts, et il me dit : «Il y a une maquilleuse qui aimerait bien trouver des pigments pour un maquillage. Elle n’y arrive pas, elle a besoin d’aide, donc ce serait bien que tu fasses le test. Si ça marche, tu feras partie de l’équipe.» C’est comme ça que je suis rentrée dans le milieu, le tournage d’abord, et j’ai rencontré des gens qui m’ont dit qu’il y avait des formations par-ci par-là. J’ai commencé par le documentaire, j’ai fait les Ateliers Varan à Paris, et je suis sortie avec un film documentaire qui a beaucoup tourné dans les festivals, qui a eu un prix au festival Image et Vie (2007, Ndlr).

Quel était le titre de votre film ?

Le film s’appelait «Batakhal». J’ai continué, et à un moment donné, je me suis dit que, même si je veux toujours faire du documentaire, j’aime bien maîtriser ce que je fais. C’est-à-dire qu’avec le documentaire oui, tu peux écrire un scénario, et tout, mais on a toujours des surprises. Ou dans le bon sens, ou dans le mauvais sens. J’aime maîtriser les choses en fait. De là, j’ai commencé à m’intéresser à la fiction. Et donc j’ai fait quelques ateliers de formation en écriture de fiction.

Que ce soit avec vos pinceaux, ou avec votre caméra, vous vous exprimez donc toujours à travers l’art ?

Oui. Alors, moi je me dis toujours que, en fait la peinture et le cinéma, c’est pareil pour moi. Pour moi, c’est le même univers, c’est mon univers et je pense que c’est juste le support qui a changé. Dans l’un, on a du monde autour, on a les caméras autour, et dans la peinture, on a sa toile, on a ses pinceaux, mais l’expression reste pareille. C’est la création.

Il n’y a donc pas de transition entre ces deux facettes de votre expression artistique ?

Non, il n’y a pas de transition parce que je continue à faire de la peinture. J’ai exposé à la dernière Biennale de Dakar, j’avais aussi exposé à la Biennale de Casablanca. Donc je continue à faire ma création du côté de l’art plastique, mais en même temps, je fais du cinéma. Quand ma sensibilité m’amène vers le cinéma, vers l’écriture d’une histoire, j’y vais. Et il y a des moments où c’est vraiment la peinture. Voilà…Moi je pense que c’est juste des supports, et de temps en temps je change de support.

Votre « côté » plasticienne joue-t-il sur votre façon de faire du cinéma ?

Oui...Oui…Parce qu’en fait, j’ai vraiment un souci de forme, quand je raconte une histoire, que ce soit une histoire dramatique ou autre chose, j’ai vraiment un souci de forme. Si avez-vous vu mon court métrage, «Une place dans l’avion», rien n’a été mis au hasard : les couleurs, les déplacements de caméra, c’est comme de la peinture en fait. Bon, pour moi, je me dis que je suis en train de réaliser ce film, comme si c’était dans mon atelier de peinture. Et donc je pense que ça joue beaucoup.

Justement, dites-nous en davantage au sujet des couleurs et de certains de vos choix dans ce film ?

J’ai choisi ces couleurs parce que, premièrement, l’Afrique est colorée, quoi qu’on puisse dire. Il y en a qui disent que l’Afrique est sombre, mais quand on va ailleurs et qu’on revient en Afrique, ce qui frappe le plus, c’est les couleurs, les couleurs des vêtements, des choses. Les gens n’ont pas peur de porter des couleurs, par rapport à d’autres pays par exemple. Il y a ça déjà, cette première chose, mais il y a aussi l’environnement que j’ai utilisé pour ce court métrage-là, qui est très aride si vous remarquez bien. C’est très marron-ocre, très éteint, très diminué, et ça, c’est voulu. C’était le repérage, c’était voulu, parce que je voulais mettre en avant les personnages, et je me disais que je n’aurais que quatre couleurs ; et à part les couleurs neutres, le noir et le blanc, il y a du jaune, du rouge, du «orange», et quelquefois du bleu. C’était voulu…Puisque cette histoire est quand même un peu…C’est un burlesque, je dirais presque que c’est une histoire de dessin animé, et donc j’ai voulu mettre un peu cet aspect de cartoon, et montrer que l’Afrique est très colorée. Pour ma part, je trouve que c’est très beau, très gai, et je voulais montrer tout cela.

C’est aussi lié à votre expérience de costumière ?

Oui (rires). Tout est lié, je pense que tout est lié. Pour les costumes, c’est mon équipe qui était là, mais c’est vrai que j’ai un réel souci pour les costumes, et le fait que je sois costumière d’ailleurs, a joué un rôle ; un réel souci pour les détails, parce que justement ça fait partie de mon métier, et peut-être que c’est un plus par rapport à ça.

Quel souvenir gardez-vous de cette période ? Des costumes particuliers qui vous auraient marquée ?

Oui…Alors, j’ai voulu être costumière pour apprendre le cinéma, pour être sur les plateaux et pour apprendre, pour essayer de voir quelles sont les contraintes qu’on peut avoir sur les tournages. Après, finalement, j’ai fait plein de choses en tant que costumière, et le film qui m’a marquée, parce que j’avais eu beaucoup de boulot, beaucoup de travail de création, c’était «Les Pirogues des hautes terres», du réalisateur français Olivier Langlois. C’était vraiment de la création, et en même temps il y avait beaucoup de recherche à faire, parce que c’est une histoire qui se passe entre 1938 et 1947. Donc il fallait faire des recherches par rapport à ça, et du point de vue des couleurs, il fallait aussi faire des recherches. On avait 1500 figurants à habiller, en fonction de l’environnement et de l’univers de 1947, et on avait aussi 90 comédiens à habiller. Ce tournage-là m’a vraiment marquée.

Pourquoi avez-vous choisi de parler de l’immigration dans «Une place dans l’avion», et de cette façon-là, «burlesque», comme vous dites ?

Alors…J’avais fait des films documentaires, c’est un sujet qui m’intéresse hein, l’immigration, parce que vis avec, je connais plein de gens qui sont partis, je connais même quelqu’un qui a pris la pirogue et qui est arrivé en Espagne. Donc j’ai fait des films documentaires sur ça, j’en ai fait deux, et les histoires sont tristes en général, quand on parle de l’immigration. Mais on n’avait jamais parlé de ce qui se passe avant : qu’est-ce qui les pousse à y aller ? Au Sénégal, c’est vrai, il y a de la pauvreté, je ne dirais pas qu’il y a la misère, parce que moi, les gens que j’ai connus et qui ont pris les pirogues, n’étaient pas dans la misère. Donc je me suis dit qu’il y a ce côté «rêve» quand même, qui pousse les gens à partir. On a toujours envie de partir à un moment donné, et on se dit : « Ah si pouvais…» C’est drôle, c’est comique, et je me suis dit : pourquoi ne pas raconter et montrer un peu ce qui se passe avant. Et puis l’humour, moi je pense que l’humour fait passer plus facilement un message que le drame. Et donc j’ai choisi d’utiliser l’humour, le rêve, pour raconter cette histoire. Bien que dans ce film, il y a des codes hein, il y a plein de choses à dire. La femme qui erre avec son plat et qui suit son mari (l’homme qui rêve de pouvoir partir aux Etats-Unis, et qu’elle suit, de la maison à l’aéroport, avec son plat préféré, qui ne se renversera pas, malgré la course, Ndlr), c’est le foyer. Tout se passe dans sa tête. Il part, il laisse tout, il ne sait pas ce qu’il va trouver, mais il pense au foyer. Il y a plein de messages, et même si c’est drôle, à la fin on est triste, je pense, parce que c’est quand même ce que j’ai voulu montrer.

Comment s’est passée votre collaboration avec l’acteur Cheikhou Guèye (Sanekh), qui tient le rôle principal dans «Une place dans l’avion» ? C’était facile de le faire travailler au cinéma ?

Cheikhou Guèye est très professionnel. J’avais des doutes hein, parce qu’il a commencé par le théâtre, il fait du théâtre populaire, son jeu, des fois, n’est peut-être pas pour le cinéma, c’est très théâtral, c’est normal, il fait du théâtre, et j’ai eu quelques doutes. Mais après quelques mois de réflexion, franchement je me suis dit que c’est lui mon personnage. Physiquement, je l’avais décrit comme ça mon personnage : il était grand, mince, quand il court il y a cette expression, et je me suis dit que c’était lui ; donc je vais aller le voir, pour voir si ça marche. Je suis allée le voir, je lui ai donné le scénario, et je lui ai dit : «Je te donne deux jours pour lire le scénario, et je t’appellerai après pour voir si ça te convient ou pas.» Je n’ai pas essayé de forcer ou quoi que ce soit. Les deux jours passent, je l’appelle, il décroche tout de suite. Il me dit : «Celui-là, c’est moi !» (Rires). Il m’a dit : «Ton personnage, c’est moi ! Donc je vais faire le film.» Et franchement, franchement, il a été super professionnel sur le plateau : il a couru, mais vraiment ils ont souffert les comédiens. D’ailleurs je tiens à les remercier parce qu’ils l’ont fait avec le cœur. C’était dur, mais en même temps on a beaucoup partagé. C’était super, franchement le tournage était magnifique, j’ai eu beaucoup de chance, je dis tout le temps que tout s’est bien passé avec les comédiens, les techniciens, le producteur, les amis…Et une fois le tournage terminé…On a dansé (Rires), tellement on était contents. On ne voulait même plus se quitter. Moi j’étais triste. J’étais triste de partir et de voir aussi les autres partir.

Votre film va représenter le Sénégal dans quelques jours au Clap Ivoire, comme il a aussi représenté le Sénégal au Nigéria, à Nouakchott, à Clermont-Ferrand…Qu’est-ce que tout cela représente pour vous ?

Clermont-Ferrand, c’était le premier Festival, c’était la première mondiale, en fait, et c’était super ; parce que c’est un Festival qui n’est pas du tout facile d’accès, et d’ailleurs quand on déposait le film, qui a ensuite été sélectionné, il n’était pas encore prêt hein, mais on s’est dit quand même : on va déposer. Et quand j’ai été sélectionnée, c’était une grande surprise pour moi, et qui m’a fait plaisir. Aux AMAA (Africa Movie Academy Awards 2017 au Nigeria, Ndlr) c’était aussi une grande surprise d’avoir ce trophée-là, celui du Meilleur court métrage. A Yaoundé, aux Ecrans noirs (2017), j’ai eu la Mention spéciale du jury, à Nouakchott (Nouakshort Films 2017, Ndlr) aussi la Mention spéciale, et à La Guarimba en Italie, j’ai eu le prix du public.

Et donc là, direction Clap Ivoire…

(Elle coupe)…Direction Clap Ivoire…J’ai hâte (Rires), parce que j’adore les festivals en Afrique : ça me permet de découvrir mon continent.

Qu’est-ce que toutes ces distinctions représentent pour vous ?

Ah ! C’est de l’encouragement, ça me dit de continuer, et voilà je vais continuer, je vais donner encore plus, pour avoir de bons produits, de bons films, et pour représenter mon pays.

D’autres projets cinéma en ce moment ?

Oui, j’ai d’autres projets. Je suis en train d’écrire une histoire qui n’est pas encore définie, mais voilà…J’ai d’autres projets.

En vous lançant dans ce métier ou dans ce milieu-là, quel cinéma aviez-vous envie de faire ?

Alors…J’aime beaucoup le cinéma d’auteur, j’aime beaucoup Djibril Diop Mambety, j’aime beaucoup Ousmane Sembene, j’aime beaucoup les films des réalisateurs sénégalais et africains, il y a plein de films que j’adore, mais il y a un cinéaste, un réalisateur que j’aime énormément, qui a fait des films extraordinaires, des films de référence, et c’est Fellini (Federico), que j’adore, et «Dolce Vita» (1960, Ndlr) m’a beaucoup inspirée. J’adore ce film, et j’aimerais pouvoir faire un jour des films de cette qualité-là.

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