17e anniversaire de la disparition du Président Senghor: son fils spirituel Amadou Lamine Sall lui raconte ce qu'il raté

19 - Décembre - 2018

Comme à chaque veille de 20 décembre, date à laquelle le président-poète Léopold Sédar Senghor, avait quitté ce bas-monde, Amadou Lamine Sall lui dresse le tableau quasi-complet du monde qu'il a laissé derrière lui. Dans une longue lettre parvenue à la rédaction, le fils spirituel du premier Président sénégalais commence par lui donner des nouvelles du pays... de la mort de Sidy Lamine Niasse aux élans de bâtisseurs de Macky Sall. La gouvernance tumultueuse de Trump, la conquête inéluctable du monde par la Chine, la révolution des "Gilets jaunes" en France... L'enfant Joal n'a rien raté. Lisez l'intégralité de cette lettre-hommage, intitulée : Senghor : 17 ans qu'il dort sans fin !

C’est le 20 décembre 2001 que vous nous avez quittés : pourquoi ceux que nous
aimons meurent-ils ? Que restent-ils de ceux qui voyagent si loin, si près, si ce n’est la
mémoire de ceux qui sont encore restés et qui se préparent, eux aussi, pour l’éternelle couette
de terre ? Alors, que reste t-il vraiment qui surmonte le temps, si ce n’est les livres d’histoire ?
En écrivant ces mots, mon cher poète, je pense à vous, je pense aussi à un autre homme
disparu le 4 décembre 2018 dernier, à 16 jours du 17 ème anniversaire de votre grand sommeil.
Le Sénégal a pleuré Sidy Lamine Niasse, d’une année mon aîné, enfant de Kaolack comme
moi. J’évoque sa mémoire ici, car ma maman l’aimait et elle a beaucoup, beaucoup pleuré
quand je suis allé dans sa chambre lui annoncer notre deuil. Je n’aime pas voir ma mère
pleurer. Que l’on ait de l’estime pour lui ou non, Sidy Lamine était Sidy Lamine. « Amadou,
je viendrais embrasser notre maman, bientôt », m’avait-il lancé à la fin du dîner en la
résidence de notre ami, l’Ambassadeur de Palestine, Safwat Ibraghith. La Palestine belle et
rebelle, se souvient toujours de Léopold Sédar Senghor ! Tous vos successeurs lui ont gardé
ce que tu lui avais donné, le premier ! Un héritage qui honore notre pays au sein de la
communauté internationale.
Si cher poète, comme le temps est long depuis votre grand sommeil ! Et pourtant, vous
êtes si présent en nous, avec nous. Pas une année où aux plus reculés des hémisphères, l’on ne
vous fête ! Nous rentrons de Paris le 9 novembre 2018 où l’Académie des Sciences d’Outre-
mer célébrait, autour de la thématique de la trilogie de la paix, trois grands noms : Léopold
Sédar Senghor, Martin Luther King, Alfred Manessier le peintre. Monsieur Moustapha
Niasse, votre ami si fidèle, disciple invincible, en sa qualité de président du Conseil
d’Administration de la Fondation L.S.Senghor en était l’invité d’honneur. Maître Boucounta
Diallo, Raphaël Ndiaye, directeur général de la Fondation et votre peul qui a migré dans les
bras des Sérères, étaient présents au pays de Victor Hugo. C’est comme si vous y étiez et vous
y étiez ! Monsieur Gérard Bosio, le fils inconsolé et qui fut votre conseiller, nous y a
accueillis. Il s’échine, avec grand mal, à ouvrir un musée en votre nom où seraient enfin
exposées toutes les œuvres du patrimoine que vous lui avez laissées et qu’il garde comme le
dernier grenier de mil ! Au même moment, Emmanuel Macron le jeune Président français qui
tisse sa légende mais à qui un mouvement populaire sorti de l’exaspération et de la pauvreté,
dénommé les « Gilets jaunes », lui ôte ses aiguilles et ses étoffes, pourrit le quinquennat, met
la France à nu, face au monde. Le Président français recevait près de 70 Chefs d’État, pour la
commémoration du 11 novembre, cent ans après la 1 ère guerre mondiale de 14-18.
J’ai pensé alors au soldat Senghor, combattant de la seconde guerre mondiale ! Je me
souviendrais toujours de mon voyage à Saint Médard en Jalles, non loin de Bordeaux, cette
localité où vous aviez été interné comme prisonnier de guerre et dont la médiathèque porte
désormais votre nom. Vous imaginant dans ce camp près de 82 ans plus tard, j’ai mesuré en
foulant ce sol, combien la grâce divine vous avait préservé de la mort. Plus fascinant encore :
jamais en vous regardant gouverner, dire des poèmes, prononcer des discours, manger,
dormir, l’on ne pouvait distinguer en vous que vous aviez été un seul jour de votre vie au
cœur de cette boue glaciale et sanglante que fut le théâtre de la guerre, en ce temps-là ! Je n’ai
jamais vu et entrevu en vous que la lumière ! Ou cachiez-vous donc cette vie antérieure, me
suis-je toujours demandé à vos côtés ? Est-ce donc la poésie qui avait tout embelli en vous ?

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Tiens, le 25 novembre, en entrant dans les locaux de la nouvelle radio « imedia », où
j’étais venu prendre part à un débat animé par le teigneux journaliste Alassane Samba Diop, je
vous ai trouvé à l’accueil avec Nelson Mandela. Oui, une belle photo de vous et du grand
zoulou décorent les locaux de cette naissante station radio ! Bel hommage d’une solide
compagnie d’invincibles journalistes, dont Mamoudou Ibra Kane, Antoine Diouf, Khalifa
Diakhaté, entre autres. Vous êtes ainsi dans le cœur d’une nouvelle génération médiatique qui
triomphe par sa rigueur et sa qualité.
Si cher poète, Monsieur le Président -dans l’ordre alphabétique-, vous assistez de là où
désormais votre regard déshabille toutes choses, aux tribulations du Sénégal dans ce qui
devait être un moment apaisé de haute responsabilité et qui, sous nos yeux, se révèle comme
un tragique théâtre politique de fous et d’hallucinés. La politique et des ambitions démesurées
ont rendu méconnaissables notre pays. Notre chance, cependant, est que le plus grand
nombre du peuple Sénégalais reste grand et lucide. Seule l’arène politique est atteinte d’un
cancer généralisé. Nous espérons que le suffrage universel, au lendemain des élections
présidentielles de février 2019, guérira très vite, au réveil, les plus atteints. Le système fort
contesté dit du parrainage a déjà sorti de la chimiothérapie quelques chanceux. Un vent de
folie et d’ambition que rien ne semble arrêter, pollue jusqu’à l’eau de nos robinets. Le peuple
se tait. La horde des politiciens déferle sur nos vies. Sans respect. Avec une poignante honte.
Ce visage là ne ressemble pas à votre pays. Tant pis si nous acceptons cette fatalité. Peut-être
mènera t-elle à un jour nouveau, une autre manière de faire de la politique, une autre manière
d’être digne.
Votre 4 ème successeur bâtit, bâtit, bâtit ! Quelque soit l’adversité, il sera difficile de dire
de cet homme qu’il fut un flâneur tenant en laisse une tortue pour installer son pays au cœur
de la modernité. Nous lui souhaitons que l’histoire de son héritage ne soit pas d’argile ! Mais
nous n’oublions pas que des Chefs d’État africains paient cher pour offrir la pauvreté à leur
peuple ! Ce qu’il nous faudrait accélérer serait plutôt l’émergence d’industries productives,
génératrices d’emplois et de richesses, exportatrices, sans lesquelles il ne saurait y avoir de
véritable pays avancé. Là, se logent nos faiblesses. Il faudra bien résorber ce gap ! L’État seul
ne saurait y réussir, mais il doit pousser dans ce sens le secteur privé national et international,
dans un partenariat dynamique, qui relaie et complète les actions de l’État.
Macky Sall, c’est son nom, cher poète, brigue un second mandat en février 2019. Le
temps de vos 20 ans au pouvoir est bien sûr révolu. Je vous vois d’ailleurs en rire ! Vous nous
avez toujours confié que vous étiez arrivé au pouvoir par accident et que vous ne comptiez
pas y rester longtemps, jusqu’à cette fameuse et si contestée tentative de coup d’État qui
changea le temps de votre mandat. Votre 4 ème et jeune successeur a fixé la norme à deux
mandats de cinq ans. Après lui, nous souhaitons que les Sénégalais approuvent un mandat
unique dont la durée restera consensuellement à être fixée, afin d’avancer et d’éviter à notre
pays de détestables échéances trop proches les unes des autres qui nous installent dans des
campagnes électorales permanentes, sans compter les inévitables compromissions de
renouvellement de mandat avec de grosses coalitions politiques qui ne viennent pas que pour
boire du thé !
Tiens, le Musée des Civilisations Noires dont vous rêviez vient d’être enfin inauguré,
11H, le jeudi 6 décembre 2018, par l’heureux Président Macky Sall ! Près de 93 ans
d’attente, décompte fait ! En effet, que de temps parcouru depuis 1925, date d’évocation de ce
projet par un certain Lamine Senghor, puis 1957 avec les assises de Rome autour

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d’intellectuels et d’artistes, 1966 avec le totémique Festival mondial des arts nègres, 1974
avec le Conseil des ministres spécial de Dakar sur le musée. Quatre dates marquantes révélées
par l’actuel ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly devant le Parlement, le 4 décembre
2018 ! L’inauguration du tant souhaité projet du Mémorial de Gorée attendra combien
d’hivernages ? Le Président Sall a dit oui à ce projet dans son discours d’inauguration du
Musée et l’a réitéré en lettres d’or au Conseil des ministres du mercredi 12 décembre 2018.
Enfin, le symbole de toutes les mémoires souffrantes serait érigé pour l’histoire et dans
l’histoire des Noirs de toutes les couleurs!
Que te rapporter d’autre, cher poète, en ces temps incertains du monde. Les États Unis
d’Amérique scalpent les États libres et son invraisemblable et fatidique Président a ouvert des
boutiques de linceul le long de ses frontières. La Grande Bretagne lutte contre elle-même et
aiguise ses couteaux avec ses propres dents en sortant de l’Union Européenne par le
« Brexit ». La Chine continue sa marche jaune devenue jaune-arc-en-ciel, pour dire que ses
conquêtes sont devenues grandes. L’Afrique s’organise. Juste le temps encore d’enterrer le
reste des Chefs d’État qui l’humilient et la déshonorent ! Mais nulle part dans le monde, la
démocratie ne porte des habits de grande lumière. La justice, non plus. Le combat des
écologistes s’intensifie, conséquence de l’accélération du réchauffement climatique face à des
gouvernants aveugles et suicidaires. La 3 ème guerre mondiale est déclenchée : nature contre
homme. La fin n’est plus loin ! Au Sénégal nous luttons contre un projet de port monstrueux,
une pieuvre géante et puante qui étend ses tentacules de Ndayane à Toubab Dialaw, sur un
des plus beaux littoral sénégalais ! Un génocide écologique qui s’annonce si le Président Sall
n’y apporte pas la plus précieuse et la plus patriotique des attentions ! Déjà, les catastrophes
du port de Bargny-Sendou sont désormais ressenties jusque chez toi, cher poète, à Joal la
Portugaise ! Tes vertes vérandas sont menacées par la suie noire des vents noirs de la
pollution. La poésie résiste, mais jusqu’à quand ? Mais le temps des poètes n’est pas fini !
Dans l’actualité des réflexions du monde, j’apprends ceci du chercheur américain André
Tanenbaum : « Dans le futur, chacun possédera chez soi un terminal connecté à un réseau
d’ordinateurs. On pourra faire des référendums spontanés sur des questions législatives
importantes. Plus tard, on pourra supprimer les représentants du peuple au bénéfice de
l’expression populaire directe. » Par ailleurs, sur un autre sujet de langue et de religion, je
partage avec vous ces éclairantes leçons de Fawzia Zouari : « Des élus français confondent
l’enseignement de l’arabe avec l’enseignement du Coran. Ils se trompent. L’arabe existait
avant le Coran et était une langue de poésie avant tout. De même que bien des musulmans
prient sans savoir lire ni écrire. Donc, il n’est point besoin d’apprendre l’arabe à l’école pour
connaître et pratiquer la religion (…) le plus grand pays adepte de cette foi, l’Indonésie, ne
parle pas l’arabe (…) le musulman peut naître chinois (…) l’arabe est aussi la langue des juifs
et des chrétiens d’Orient ».
Mon cher poète bien-aimé, dans mes lectures qui m’éloignent de l’environnement
médisant et nauséabond de nos politiques, de l’angoisse de nos peuples, j’ai appris que Dieu
nous parlait et nous écrivait tous les jours avec des consonnes et que c’était à nous d’y
introduire les voyelles, pour tracer et assurer notre propre verticalité vers Lui.
Votre pensée nous manque. Elle nous donnait à boire quand nous avions grand soif !
En ce 20 décembre 2018, 17 ans après votre grand sommeil, sur votre tombe poussent
des poèmes que des pèlerins sont venus écrire pour vous et qu’ils n’ont pas voulu signer.
Quand arrive le vent, il les essaime dans tout le cimetière de Bel air et les morts les lisent à
haute voix la nuit avec Julien Jouga.
Vous ne nous avez jamais quittés !

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