Les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs, une fabrique de la diplomatie culturelle

25 - Septembre - 2025

Les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs (MSAD) de Thiès, un instrument de diplomatie culturelle porté sur les fonts baptismaux en 1966, par le président-poète Léopold Sédar Senghor, tiennent encore le flambeau, malgré les moments difficiles par lesquels cette structure est passée.

Cet établissement prestigieux est installé sur le site de l’ancien camp Faidherbe, dans le quartier 10-ème RIAOM, du nom du 10-ème Régiment d’infanterie de l’armée d’Outre-Mer française, stationné autrefois dans la capitale du rail.

Créées en tant que Manufactures nationales de tapisserie (MNT), cette structure change de dénomination pour devenir les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs (MSAD). C’est à la suite du vote en 1973 d’une loi qui en fait un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC).

Dédiées exclusivement à la production de tapisseries murales à leurs débuts, les MSAD avaient, par la suite, entrepris de diversifier leurs produits, en confectionnant des tapis de sol, du batik, des nattes de prière, ou encore de la céramique, entre autres articles faits à la main, pour augmenter leurs ressources.

Une diversification qui s’est imposée à l’entreprise, alors qu’elle traversait des moments difficiles, en raison d’un marché local de la tapisserie très restreint et d’une baisse de la subvention de l’Etat.

Vu le coût élevé de ses tapisseries, assimilées à des articles de luxe – le mètre se vend entre 500.000 et un million de FCFA – les MSAD ont dû se réinventer, pour rentabiliser leur activité économique.

Un savoir-faire transmis de génération en génération

Une visite des ateliers de cet établissement unique en son genre en Afrique de l’Ouest, voire sur tout le continent, offre l’occasion d’une plongée fascinante dans le processus de fabrication de ces tapisseries aux couleurs vives, visibles à l’arrière-plan de certaines photos du chef de l’Etat.

En compagnie du chef d’atelier basse lisse 3, on découvre les différentes étapes d’une chaîne de production manuelle, de bout en bout.

De l’agrandissement du tableau d’art à reproduire sur un carton jusqu’à la finition, en passant par la sélection des couleurs, et le tissage, le travail est entièrement réalisé à la main.

Le personnel des Manufactures utilise des métiers à tisser datant de 1979, pour sortir de magnifiques tapisseries qui ornent aujourd’hui de prestigieux endroits à travers le monde, comme le siège des Nations unies, l’Union africaine, le FMI. La salle des banquets du palais de la République est aussi ornée d’une de ses œuvres.

Ici, le savoir-faire manuel, la minutie et la dextérité qui font la réputation mondiale des MSAD, se transmettent de génération en génération.

A l’ombre d’imposants fromagers et caïlcédrats qui trônent fièrement dans l’enceinte des MSAD, trois ateliers séparés d’espaces verts bien entretenus, abritent le travail de tissage.

‘’Nous avons trois ateliers qui font le même travail : les tapisseries murales, les tapis de prières et les moquettes’’, renseigne le responsable de l’un de ces ateliers, penché sur un métier à tisser, un dispositif mécanique constitué d’un large cadre en bois, posé à l’horizontal, et équipé de deux à quatre pédales.

A l’image d’une table à manger légèrement inclinée du côté du lissier, il est couvert de milliers de fils de couleur blanche. ‘’C’est un tapis mural que je suis en train de tisser’’, explique le lissier.

Un travail manuel en plusieurs étapes

Le travail se fait en trois étapes principalement : au niveau de l’atelier de cartonnage, les cartonniers se chargent de l’agrandissement de l’œuvre artistique, accompagnée d’un ‘’chapelet de couleurs’’. Un long fil auquel sont accrochés des étiquettes portant des chiffres indiquant le nombre de fils de couleur qui doivent être utilisés pour confectionner le tapis. Une sorte de tableau de bord pour le lissier.

De l’agrandissement du modèle au produit fini, le processus de fabrication du tapis mural passe par l’atelier de cartonnage, où le tableau à reproduire est agrandi, ensuite par l’atelier de tissage et enfin la finition, partie de la confection où les imperfections sont corrigées de façon à obtenir un produit fini presque parfait, explique Sidy Ndiaye Guèye, le chef de l’atelier basse lisse 3.

Dans l’atelier de basse lisse, le travail se fait en ‘’33 sous-étapes’’, qui doivent être franchies avant de débuter le tissage proprement dit, poursuit-il.

Vêtu d’une blouse verte floquée du logo des MSAD, il détaille le travail minutieux, basé sur des calculs permettant de déterminer le nombre de ‘’lames’’, c’est-à-dire de rangées de fils. “Les 33 sous-étapes de travail au niveau de l’atelier basse lisse peuvent ainsi être classées en trois grandes étapes, que sont le calcul, l’ourdissage et le montage”, dit le responsable.

Après l'”ourdissage’’ ou la dresse, arrive la phase de ‘’montage’’ sur le métier à tisser basse lisse, “principal outil de travail’’ du lissier des MSAD qui utilise deux matières de base, à savoir la laine et le coton.

Les fils de coton ou de laine, importés respectivement du Mali et de la Belgique, sont ensuite montés sur le métier et tendus ‘’pour casser [leur] élasticité’’, avant le tissage, afin d’éviter des vagues sur l’œuvre.

La durée de l’étape de conception consistant à agrandir, sur un carton grand format, l’œuvre artistique à reproduire, dépend fortement de son niveau de complexité.

Elle peut aller d’un à deux mois, selon qu’il s’agisse d’une œuvre très difficile ou facile, note le chef d’atelier qui, tout en ricanant, avoue ne pas aimer le qualificatif ‘’facile’’, puisque, dit-il, ‘’il n’y a rien de facile ici’’.

La deuxième étape, qui a lieu à l’atelier basse lisse, prend au moins sept mois, ‘’si la confection se fait à deux’’.

Les MSAD copient des œuvres réalisées par des artistes sénégalais, africains ou originaires d’autres continents, qui sont sélectionnées à l’issue d’un appel d’offres.

‘’Le contrat qui est signé entre l’artiste et nous, porte sur huit éditions, c’est-à-dire, nous reproduisons huit fois l’œuvre. Après cela, nous avons droit à deux autres éditions spéciales, et c’est fini’’, explique le lissier, ajoutant qu’un nouveau contrat est alors signé avec un autre artiste, pour une nouvelle œuvre.

En guise de signatures, le nom entier de l’auteur de la peinture servant de modèle et le logo des MSAD sont tissés de part et d’autre sur le tapis.

‘’Tout est fait à la main, il n’y a ni machine, ni ordinateur et le travail est entièrement manuel’’, répète Sidy Ndiaye Guèye, pointant du doigt une tapisserie.

“Le tissage se fait à l’envers et en portrait, c’est la beauté du travail de la tapisserie’’, lâche-t-il, laissant entendre que tant que le travail n’est pas fini, il est impossible de voir ce qu’il y a à l’endroit.

“Techniquement, on peut savoir ce qu’il y a, mais retenez qu’à l’envers du tapis, nous avons l’esthétique, à l’endroit l’œuvre ’’, affirme l’artisan.

A la fin du tissage, la tapisserie est coupée, avant d’être transférée vers l’atelier de couture où les couturiers se chargent de corriger les imperfections. Il s’agit de ‘’fentes’’ qu’ils referment à l’envers et à la main, avec des fils de pêche, à l’étape de la ‘’finition’’. “Le tout est couvert de satin, afin de ne laisser en rade aucune imperfection’’, fait savoir Sidy Ndiaye Guèye.

Selon le chef de la section basse lisse, El Hadj Alassane Diop, la trentaine bien révolue, après la programmation de l’œuvre, les trois chefs d’atelier vérifient sa conformité aux codes de couleurs et aux dimensions indiqués. ‘’Si tout est conforme, dit-il, le chef d’atelier le transmet au lissier’’.

Le choix des lissiers, signale-t-il, se fait en fonction du niveau de difficulté de l’œuvre, déjà évalué par les chefs d’atelier, et au temps que le travail projeté. “Les lissiers les plus gradés et les plus expérimentés, sont affectés à la réalisation des tapisseries les plus complexes’’, renseigne-t-il.

Avec une aisance témoignant de son expérience et de sa maîtrise du sujet, il explique que plus les formes sont petites, plus le travail est exigeant. Car, détaille-il, ‘’le nombre de personnes affectées à ce tapis est réduit, et le temps de réalisation est plus long et plus exigeant”.

Plus les formes sont grandes, plus le nombre de lissiers autour du tapis est important, et par conséquent, la pièce est facile à réaliser, car ‘’moins exigeant’’.

Les moquettes et tapis de prières sont tissés dans les autres ateliers, où le mode de confection se distingue seulement par la position verticale des métiers à tisser et le profil des intervenants.

La touche féminine

Au bout d’une des allées pavées reliant les ateliers des MSAD, un grand bâtiment, à l’image de celui des deux autres, abrite la haute lisse.

A l’intérieur, deux rangées de femmes assises derrière des métiers, en position verticale, sont en plein tissage. Au milieu, une grande allée traverse la pièce de bout en bout. Dans l’atelier haute lisse, neuf dames sont à l’œuvre, dont une coutrière qui se charge de la finition de la nappe.

Avec leurs doigts fins, les lissières s’affairent chacune autour d’un tapis de prière.

‘’C’est l’atelier par excellence des femmes’’, relève le chef de section, selon qui, le travail en haute lisse demande une certaine finesse et une certaine agilité des doigts dont seule la gent féminine a le secret.

Assise devant son métier à tisser, la cheffe de section, Ramatoulaye Sall Ly, est absorbée par la confection d’un tapis de prière de 1,30 m de long et 0,90 cm de large. Elle exécute les mouvements avec une facilité apparente.

‘’Ce travail demande beaucoup de patience, des mains fines, les femmes possèdent tout cela’’, explique-t-elle. Quant aux tapis de prières aux dimensions standards 0,70 sur 1,10 m, ils peuvent être réalisés en 20 jours, selon l’agrandissement.

La confection d’un tel tapis dure environ 45 jours, mais ‘’quand on en retranche les week-ends et les jours fériés, la conception fait moins de 45 jours’’, note-t-elle.

“Ici, comme en basse lisse, le tissage se fait à l’envers, par la technique des points noués, consistant à mettre de la laine entre deux points séparant les fils pairs et impairs’’, explique Ramatoulaye Sall.

‘’A la fin du travail, nous mettons une fiche technique à l’envers de l’œuvre, sur laquelle sont inscrites les dimensions, l’auteur (MSAD), le peintre cartonnier’’, ajoute-t-elle.

Un outil de diplomatie culturelle

Le promoteur de cette manufacture, le premier président du Sénégal indépendant, Léopold Sédar Senghor, avait fait visiter cette industrie culturelle à ses homologues ivoirien Houphouët Boigny, tchadien François Tombalbaye, français François Mitterrand, ainsi qu’à l’empereur du Japon Hiro Hito, entre autres. Il était aussi de tradition d’offrir aux hôtes de marque des tapisseries confectionnées par les Manufactures.

Les MSAD avaient connu des moments difficiles, qui avaient fait dire à l’écrivain thiéssois feu Mbaye Gana Kébé que “la fleur de Senghor a fané”.

Une situation qui a été dépassée quand l’Etat sénégalais avait décidé en 2011 de relancer les MSAD.

Parmi les mesures prises à cet effet, figurait la directive présidentielle “Un service, une tapisserie”, visant à encourager les services étatiques à passer des commandes auprès de l’établissement, pour lui permettre d’écouler sa production.

L’Etat avait aussi misé sur un renouvellement de ses effectifs, à travers la formation de deux promotions entre 2011 et 2017.

S’inscrivant en droite ligne de la vocation diplomatique des Manufactures, l’ancien ministre en charge de la Culture, Abdoulaye Diop, avait invité en 2019, les ambassadeurs en poste à Dakar à venir visiter l’endroit, la veille de la célébration de son 53-ème anniversaire.

Après un tour du circuit de fabrication, les diplomates s’étaient retrouvés dans la salle d’exposition des MSAD pour contempler la vingtaine de tapisseries accrochées et signer un livre d’or.

Une façon de faire d’eux des ambassadeurs de cette structure dans leurs pays respectifs, pour que continue de rayonner ce joyau de l’industrie culturelle sénégalaise, à travers le monde.

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