Brexit : partir ou rester, le choix cornélien des Européens du Royaume-Uni

10 - Février - 2019

A une centaine de kilomètres au nord-ouest de Londres, la prestigieuse ville d’Oxford est un bastion anti-Brexit : 75 % de ses habitants se sont prononcés pour le maintien dans l’Union européenne lors du référendum de 2016. En poste depuis septembre à la Maison française d’Oxford, Agnès Alexandre-Collier et Thomas Lacroix livrent pour Le Monde leur regard de chercheurs et de ressortissants français installés pour deux ans avec leurs familles.

Jean-François, un ami qui habite Londres, nous annonce être britannique depuis la veille. Pour lui, c’est assez simple, ses filles le sont déjà de droit et la France reconnaît la double nationalité. Moyennant 1 330 livres et un test de langue et de culture anglaise (200 livres), il a obtenu une assurance contre les aléas de la vie administrative des étrangers au Royaume-Uni. Mais pour sa femme allemande le choix est déjà plus compliqué. L’Allemagne ne reconnaît que les doubles nationaux de l’Union européenne, ce qui ne sera plus le cas pour la Grande-Bretagne après le 29 mars, date officielle du Brexit. Pourtant, elle a fait le choix de ne pas devenir anglaise.

Jorn, un autre ami à Plymouth, est, lui, Néerlandais. Les Pays-Bas ne reconnaissent pas non plus la double nationalité, mais des accords sont en cours de négociation pour rendre cette possibilité accessible après le Brexit… Lui non plus ne veut pas faire cette démarche, et il est peu probable qu’il la fasse un jour, même en cas d’accord. Il fait partie de ces personnes qui sont dans l’attente. Ils pourraient repartir aux Pays-Bas, nous dit-il. Ce qui le retient ici, ce sont ses enfants. Ils sont nés et ont grandi ici ; leur pays, c’est l’Angleterre.

Entre le cœur et la raison, chacun oscille en fonction de ses propres critères : l’emploi, le niveau de vie, la famille, les amis…

Le Brexit sonne l’heure des choix cornéliens pour de nombreuses familles qui vivaient dans le confort du statut européen. Trois options se posent en fonction des situations : prendre la nationalité britannique, obtenir un titre de séjour, partir. Aucune n’est vraiment simple, suscitant parfois des négociations tendues au sein des couples. Surtout lorsque les enjeux ne se posent pas dans les mêmes termes. Entre le cœur et la raison (le pays d’origine ou le pays d’adoption, selon ses choix de vie), chacun oscille en fonction de ses propres critères : l’emploi, le niveau de vie, la famille, les amis…
Bronca chez les expats

La question est sensible, même lorsque l’administration britannique tente de rendre les choses plus faciles. En janvier, de nombreux Européens ont reçu sur leur boîte e-mail, via leur employeur, un message du gouvernement leur offrant la possibilité d’obtenir un titre de séjour sur simple enregistrement en ligne, et moyennant… 65 livres. Bronca chez les expats… Croisée au hasard d’un séminaire, une retraitée française est devenue rouge de colère lorsque j’abordais le sujet : « Cela fait vingt-cinq ans que je vis ici avec mon mari anglais, j’ai enseigné ici, je paye mes impôts ici, hors de question que je paye 65 livres ! » Un sentiment partagé par beaucoup. Une semaine plus tard, Theresa May annonçait la suppression de ces frais de dossier. Mais le temps que l’administration enregistre la décision gouvernementale, les Européens devront d’abord payer, puis se faire rembourser… plus tard.

Beaucoup de Français font le choix du retour. (…) Les frais de scolarité vont augmenter de 400 livres par an

Dans ce contexte, beaucoup de Français font le choix du retour. C’est encore imperceptible : on entend encore souvent parler français dans le métro de Londres ou le soir, dans les pubs, lorsque l’on se retrouve pour boire un verre après la journée de travail. Mais certains signes ne trompent pas. Le lycée Charles-de-Gaulle de Londres a vu le nombre d’inscriptions chuter pour l’année prochaine. En réaction, les frais de première inscription vont plus que doubler, passant de 700 à 1 200 livres, et les frais de scolarité vont augmenter de 400 livres par an. Les effectifs dans les classes vont diminuer et l’équipe cherche actuellement à ouvrir davantage l’école aux non francophones.
Voir le décryptage : Brexit : le nombre de naturalisations de Britanniques dans l’espace Schengen a explosé en 2017
Brexodus inquiétant

Le Brexit, avec ou sans accord, va accélérer les départs. Pour ceux qui avaient déjà prévu un séjour temporaire, c’est plutôt la question de rester qui ne se pose plus. C’est le cas pour les étudiants : c’est sûr, avec une augmentation de 9 000 à 24 000 livres sterling pour une année de licence (tarif étudiants étrangers), le choix est vite fait.

La décision est plus difficile pour les familles installées de longue date. Pour ces dernières, le Brexit n’est généralement pas le seul motif qui les pousse : une opportunité professionnelle, un parent malade, un enfant qui quitte le foyer pour partir à l’université… Reste le choix du pays de retour. La France ? Pas nécessairement. La question se pose en particulier pour les couples binationaux. Amélie est partie à Milan, où son mari, qui travaille dans la finance, a pu trouver un emploi facilement. Pour elle, le « retour » fut en fait un nouveau départ.
Lire l’analyse : Brexit : les droits et les inquiétudes des expatriés européens et britanniques

Baisse de la livre, incertitude quant à l’avenir, fin de contrat : les raisons de quitter l’Angleterre sont très diverses. Elles affectent les Français autant que l’ensemble des Européens. Le Brexit, ou plus exactement les effets anticipés du retrait de l’Union européenne, est le pendant du Brexodus, cette vague de départ que connaît actuellement le pays. Les Anglais s’en inquiètent. Une enquête de la banque HSBC montre que les Européens, après avoir été les principaux moteurs de la croissance de la main-d’œuvre dans le pays, contribuent aujourd’hui à la faire diminuer. Mais avec un chômage de 4 % et un taux d’emploi de 80 %, il est peu probable que les travailleurs britanniques puissent prendre la relève.

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