ART AFRICAIN – Restitution des œuvres : Le piège de la réparation

12 - Février - 2019

Si beaucoup d’intellectuels du continent approuvent sans faille les conclusions rendues dans leur rapport par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en faveur de la restitution des objets d’art au continent africain, la question de la réparation est loin d’être unanimité. Pour Babacar Mbaye Diop, auteur du livre «Critique de la notion d’art africain», les Européens doivent donner des compensations financières pour avoir, pendant des années, engrangé des ressources en exposant ces objets africains dans leurs musées. Une position qui n’est pas celle de Felwine Sarr qui estime que parler de réparation est un piège.
Dans le rapport qu’ils ont rendu au Président français Emmanuel Macron, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy recommandent la restitution des œuvres d’art du continent africain. Au total, le rapport a répertorié 90 mille œuvres d’art africaines dans des musées français. Les 70 mille étant détenues par le Musée du Quai Branly. Si toutes les œuvres n’ont pas vocation à être rendues comme le fait remarquer le Pr Sarr, l’Afrique peut espérer tout de même reprendre possession d’un nombre important d’œuvres d’art rapportées en France durant la période coloniale. Mais aujourd’hui, en même temps que les Africains reprennent espoir de voir les œuvres de leurs ancêtres ramenées en terre africaine, des voix s’élèvent pour poser la question de la réparation. En effet, pendant des années, ces objets d’art africains ont été exposés dans des collections abritées par les plus grands musées d’Europe et d’Amérique. Des années pendant lesquels ces musées ont récolté des millions d’euros en termes de droits d’entrée. Pour Babacar Mbaye Diop, critique d’art et ancien secrétaire général de la Biennale de Dakar, demander des réparations est une chose toute naturelle. «Ils nous disent qu’ils veulent nous restituer nos objets. D’accord ! Mais imaginez que pendant plus d’un siècle, les entrées dans les musées européens, ce sont des milliards. Ils restituent nos objets, mais ils ont fait beaucoup d’argent avec», confie l’expert. Babacar Mbaye Diop, qui vient de rééditer son ouvrage Critique de la notion d’art africain aux éditions Her­mann, estime que les Africains doivent aussi «être indemnisés».
Auteur du rapport, le Pr Felwine Sarr rejette cette option. Pour l’enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), toute réparation doit être «symbolique». «Ce qui nous a été pris est incompensable et incommensurable. Quand nous donnons un équivalent monétaire, nous le déprécions. On nous a pris des réserves d’énergie, des réserves qu’on ne pourra jamais évaluer financièrement», précisait le Pr Sarr il y a quelques semaines en marge d’une cérémonie de présentation de l’ouvrage tiré du rapport Sarr/Savoy, au Centre de recherche ouest africain (Warc). «Toute évaluation financière est en deca de ce qui nous a été pris. Donc, si nous acceptons une réparation financière, nous dévaluons ce qui nous a été pris et deuxièmement nous acceptons qu’ils nous ont payé et que c’est fini, que nous devons nous taire, nous n’avons plus rien à réclamer, nous n’avons plus un débat sur l’histoire à faire avec eux et nous n’apprenons plus puisque la transaction a été faite et elle altère la relation», soutenait alors Felwine Sarr. L’universitaire n’en démord pas. Parler de réparation est un «piège», dit-il. Mais au cours du périple effectué durant l’élaboration du rapport, il raconte qu’au Cameroun, des voix se sont élevées pour réclamer des royalties. «La question n’est pas financière. Elle doit être posée à un niveau philosophique et symbolique», répond-il.
Dans une tribune publiée par Jeune Afrique en mars dernier, Achille Mbembe, historien et politologue, estime pour sa part qu’il n’y aura de justice qu’à partir du moment où à chacun sera rendu son dû. «Au fond, ils ne veulent surtout pas avoir à faire face à la matérialité du dommage, ni à celle de la réparation. Ils veulent que l’Afrique fasse abstraction de cette sombre page de l’histoire et qu’elle cesse de leur demander de réparer ce qui peut l’être. La vérité est qu’il n’y aura de justice qu’à partir du moment où à chacun sera rendu son dû», écrivait-il.
La question des objets d’art à restituer concerne 7 pays de l’Afrique occidentale française et certains pays de l’Afrique centrale. Des objets qui, entre 1895 et 1960, ont été achetés, donnés ou tout simplement spoliés par les missions exploratrices et les colonnes armées françaises.

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